Pourquoi un plan numérique pour le Québec?

Au début du mois de septembre 2012, suite à quelques appels et courriels, nous [1] avons décidé que le moment était opportun pour se rassembler autour d’une réflexion pour un plan numérique pour le Québec. L’idée est dans l’air depuis quelques années [2] et il nous semblait qu’après la tenu d’un GouvCamp [3], d’une journée consacrée au OpenGouv et d’un panel sur la démocratie ouverte à Webcom [4], de nombreux appels à la mobilisation [5] et même de l’étiquette “Plan Nerd” [6] pour relancer le débat, on avait assez de matière concrète pour faire avancer les choses.

Un paratonnerre

Entre vous et moi, pour l’instant, si on voulait écrire la page wikipédia avec la définition exacte de ce que c’est un plan numérique pour le Québec, on aurait beaucoup de difficulté. C’est une idée, un concept, une étiquette. Si on voulait être négatif, on dirait que c’est un fourre-tout. Mais c’est plutôt un paratonnerre. Nommer les choses, c’est se donner les moyen d’en parler. De se permettre de les définir. D’en préciser les contours. C’est un des exercices les plus important quand on fait l’architecture d’un système en informatique. C’est un des mécanisme les plus puissant dans la construction sociale. Nommer c’est déclarer, c’est prendre possession.

Un exercice de mise en commun

L’aspect le plus important de ce processus, c’est de permettre la discussion en public de ce que ça pourrait être un plan numérique pour le Québec. C’est un slogan tout autant qu’une étiquette. C’est le “maître chez nous” de la société en réseau du 21ième siècle. C’est le “vive le Québec libre” de l’ère internet. C’est le déploiement d’un meme dans les médias, qu’ils soient traditionnels, nouveaux, sociaux et/ou tout ça à la fois. C’est un hack culturel. C’est l’inoculation d’un virus sous forme d’idée. C’est un poteau sur lequel se font coller tous les tracts et affiches de propagande, de publicité, de manifestation et d’avis de chien perdu. C’est une conversation de bistro, à la grandeur de la province et du monde.

Une manière d’encadrer ma réflexion

C’est aussi un moyen de me faire écrire à 23h13, heure de San Francisco, quand j’aurais d’autre choses à faire (genre dormir)… mais que là, c’est trop important. On s’est commis ensemble et ensemble on est pas mal meilleurs que tout seul. Ce n’est pas juste mon côté socialiste qui dit ça, c’est un des hommes les plus puissants de la planète internet et informatique. Non, pas Bill Gates. Ni Steve Jobs. Linus Torvalds: avec assez de paires d’yeux, aucun problème n’est trop difficile (traduction très libre de ma part de with enough eyeballs, all bugs are shallow [7]). Qu’est-ce qui arrive quand les gens ont les moyens de faire des choses ensemble, sans (nécessairement dépendre des) structures organisationnelles traditionnelles[10]?

Faire ensemble

Certains vont déclarer que cette proposition est utopique. Ces gens n’ont jamais travaillé dans le domaine des startups internet. Quel système d’opération est utilisé par Google, Amazon, Facebook, Twitter? Pas celui de Steve ou de Bill. Celui de Linus. Mais avec un x, Linux. Comment est-ce qu’il en est arrivé là? Il a repris les meilleures idées des grands penseurs (et surtout) faiseurs (programmeurs) de la culture UNIX[8], de Berkeley en Californie au MIT à Boston. S’est approprié ces idées, de son université à Helsinki, pour créer un système d’opération. Mais surtout, il a décidé d’inviter tout le monde (via internet)à contribuer à son projet. Un hurluberlu nommé Richard Stallman avait codifié un contrat social mais pour les logiciels. Et Torvalds a pragmatiquement décidé que c’était une excellente idée de l’appliquer à Linux.

Pendant ce temps, en Suisse, au CERN[9], un autre nerd au grand coeur, assoiffé de science et de progrès, collabore à inventer un langage pour partager des documents de recherches et mettre en réseau les différents serveurs des universités et centres de recherche. Le protocole HTTP et le langage HTML sont nés. Ce sont encore ceux-ci qui rendent l’internet possible aujourd’hui (je simplifie beaucoup, ce ne sont pas les ressources détailles qui manquent).L’autre grande contribution de Linus Torvalds, moins connue mais toute aussi pragmatique et importante est l’invention d’un système de collaboration à grande échelle qui permet de gérer les différentes versions et de les intégrer ensemble: GIT. C’est le mécanisme sur lequel le plus important réseau social de développeurs de logiciels libres est fondé: Github.

Faire mieux

Je vous ai fait faire un petit détour historique et géographique, mais ce n’est pour mieux revenir au Québec. Même pour un instant entre mes deux oreilles, si vous me le permettez. Parce qu’entre vous et moi, parfois j’ai envie de laisser tomber cette idée. Mais elle m’obsède. Je ne sais pas pourquoi, ni comment, mais j’ai toujours eu cette cette obsession: être meilleur. Pas dans le sens compétitif de meilleur que l’autre mais un meilleur moi. De faire mieux. De ne pas accepter la situation présente comme une finalité, mais comme un point de départ vers un autre possible. Peut-être que c’était juste l’air du temps autour de moi dans les années soixante-dix.

Peut-être que c’est le mélange science-fiction et musique d’hippies. Avec ce mieux aussi, ce fier. Et ce nous. Qu’on pouvait être complémentaires. Que peut-être qu’ensemble, on avait plus de chances. Je dis ça comme si c’était facile mais non. C’est beaucoup plus de travail de bien faire les choses ensemble. Mais ça donne de plus grands résultats. Plus durables aussi. Je rêve de ça. J’ai espoir qu’on sache apprendre à faire de grandes choses ensembles. Peut-être en commençant par en faire des petites pour se pratiquer. Pour voir c’est comment d’écrire un texte à plusieurs et d’arriver à un consensus. De brasser des idées et d’arriver à quelques pistes.

Comment faire bouger les choses dans la bonne direction

Je ne sais pas comment ça va se passer. Je sais qu’on veut avancer. Je sais que de travailler à plusieurs ça demande des compromis. Je pense qu’on va avoir besoin de déclarer certains principes pour s’entendre sur l’essence. C’est culturel et économique, social et technologique. Mais surtout culturel, dans le sens de “cultiver”. Je sais pour en pratiquer l’art et la science, qu’une bonne carte, un bon plan d’où ou veut aller et les moyens de s’y rendre ça rends les grandes idées concrètes. Que de tracer le chemin et de planifier la route, à la manière des coureurs de bois ou des geeks nomades, de vraiment vouloir se rendre, ça place les priorités à la bonne place. Je suis certain que de répertorier les idées c’est bien mais qu’on en a déjà pas mal. Là n’est pas le défi.

On a plus besoin de capitaines de bateau que d’idées d’îles aux trésors. Vous aurez remarqué que j’ai spécifié “des capitaines” et pas “un amiral”. Je suis plus de l’école des “pirates” que de celle de la flottille militaire. Plusieurs petits bateau en eau peu profonde pour explorer. Quand même tous connectés par internet, on est en 2012. Carnet de blogue sur internet plutôt que carnet de bord en papier. Collaboration. Échange. Transparence. Ouverture. De biens grands mots, mais des principes qu’on retrouve dans tous les traités moderne d’innovation aux sein des entreprises à succès comme des mouvements sociaux qui ont un impact aujourd’hui. Il faut apprendre à travailler autrement. À réussir à faire des courtepointes à plusieurs plutôt que des soliloques. Plus cercle des fermières que Nelligan. Du moins, pas l’un sans l’autre.

Ce n’est qu’un début.

On commence avec un plan. Avec des idées, un remue-méninge en public sur internet. Pour ma part, je ne sais pas ou notre groupe va aller. On a tous des perspectives différentes sur les priorités et sur la manière d’avancer. Par contre, on est tous d’accord que le statu quo et l’immobilisme du Québec ces dernières années nous ont fait du tort, collectivement comme société et comme économie. Ma contribution sera probablement similaire à celle à d’autres mouvement techno/culturels/communautaires dans lesquels j’ai participé, comme FACIL, Ile Sans Fil, Alliance Numérique et plus récemment la fondation OSMO pour le projet de la maison Notman.

Ma vision des prochaines étapes passe par un manifeste et la formation d’un groupe qui est à la fois une mine de ressources et de créativité mais aussi un chien de garde et un veilleur. J’aime beaucoup la manière dont les différents groupes autour de l’ouverture des données à Québec, Montréal et ailleurs au Canada et dans le monde ont collaborés avec les administrations publiques pour faciliter la transition. Au lieu de juste se plaindre, on participe à régler le problème. C’est tout à fait l’éthique des logiciels libres et la culture internet. Il faut mettre en place une structure auto-portante et qui s’auto-organise pour qu’elle soit pérenne. Des manières de faire qui fonctionnent à 2-3 collaborateurs ou à 456 collaboratrices.

C’est possible. On sait comment faire. Il ne reste qu’à le faire.

Notes et hyperliens complémentaires

[1]: “groupe de travail bénévole” http://www.afroginthevalley.com/en/2012/09/groupe-de-travail-plan-numerique-quebec/

[2]: “mon premier article avec l’étiquette #PlanQc” https://pinboard.in/u:afroginthevalley/b:f3313253826e

[3]: “GouvCamp” http://www.gouvcamp.org/

[4]: “Panel sur la démocratie ouvert à Webcom” http://www.afroginthevalley.com/fr/2012/05/democratie-ouverte-webcom/

[5]: “Plan Numérique Québec” http://plannumerique.qc.ca/

[6]: “Le Plan Nerd?” http://www.afroginthevalley.com/fr/2011/10/plan-nerd/

[7]: “Linus’ Law” http://en.wikipedia.org/wiki/Linus’_Law

[8]: “Wikipedia:UNIX” http://fr.wikipedia.org/wiki/Unix

[9]: “Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire” http://fr.wikipedia.org/wiki/Organisation_europ%C3%A9enne_pour_la_recherche_nucl%C3%A9aire

[10]: “Here Comes Everybody “http://en.wikipedia.org/wiki/Here_Comes_Everybody

[11]: “La Java du Plan Numérique” http://www.afroginthevalley.com/fr/2009/03/la-java-du-plan-numerique/

[12]: “Être de gauche et pour l’entrepreneuriat techno” http://www.afroginthevalley.com/fr/2012/02/etre-de-gauche-et-pour-entrepreneuriat-technologique/

[13]: “Hacker la société” http://www.afroginthevalley.com/fr/2011/12/quoi-de-mieux-que-la-societe-au-complet-comme-systeme-a-hacker/

[14]: “La collaboration comme moteur d’innovation” http://www.afroginthevalley.com/fr/2011/11/la-collaboration-comme-moteur-dinnovation/

[15]: “Tous mes liens #PlanQc” https://pinboard.in/u:afroginthevalley/t:planqc/

[16]: “Communautique et le plan numérique” http://www.communautique.qc.ca/reflexion-et-enjeux/internet-citoyen/manifeste-plan-numerique.html

[17]: “Constellation W, préambule” http://www.constellationw.com/fr/pr%C3%A9ambule

[18]: “#PlanQc historique du mot-clic” http://topsy.com/s/planqc

[19]: “PlanQc archives des conversations” http://twitoaster.com/search/all/conversations/planqc/

La source de ce document est disponible à https://github.com/PlanQc/reflexion/blob/master/planqc-reflexion-sylvaincarle.md

Published by Sylvain Carle

Venture Technologist. Internet and Media Geek. Homebase on the web is at www.afroginthevalley.com and physically grounded in Montréal.

8 thoughts on “Pourquoi un plan numérique pour le Québec?

  1. Bravo. Je vais essayer de faire un tout petit partie de cette énergie, en tant qu’anglophone étranger de Quebec qui aime beaucoup la culture bricoleur et ouvert qu’on puisse retrouver par ci et par la au Quebec. It’s wonderful and terrifying (to some) to be alive in this time of massive societal transition (voir le travail d’un Monsieur Michel Cartier, d’apres moi un trésor national du Quebec. 😉

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  2. Comme le peintre qui peint toujours le même tableau, tu tiens toujours le même discours et à chaque fois on est ébloui, estomaqué 🙂 Pendant que tu y est, merci d’ajouter cette vidéo à ton article sur le panel de webcom, l’an dernier. Tant qu’à faire des liens et à s’« embedder » dans la culture numérique, autant le faire jusqu’au bout 🙂

    Et merci de ne pas oublier que la technologie numérique n’est qu’un moyen, pas une fin. La fin, c’est l’effet réseau ou, si l’on préfère, la merveilleuse symbiose naturelle de la Vie, complexe, multi(plate)forme et interconnectée 🙂

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  3. Au risque de passer pour le chialeux de service: La démarche “Plan numérique” telle que je la vois pour le moment me semble un peu loin des principes d’ouverture prônés. On a une série de nom de personnes, on a des billets de blogues et un hashtag mais je ne vois pas comment le quidam que je suis peut participer à l’élaboration de ce plan. Si, comme je l’ai lu dans un billet de blogue, un “plan” est publié prochainement et ceci sans avoir consulté la communauté, mis en place de mécanisme de collaboration et sans rencontre publique (comme ce fut le cas pour les Montréal Ouvert de ce monde), je serai pas mal déçu…

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  4. Je répète : « le groupe actuel n’est pas celui qui va établir le plan (ou même le mettre en place) ». Une rencontre de presse se tenant le 22 novembre prochain dévoilera d’autres informations qui vise à « démarrer un vrai processus… ». Il sera bien sûr possible de réagir via un blogue et d’ajouter sa contribution pour la suite des choses !

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